Prise en charge des pertes de grossesse répétées du 1er trimestre : nouvelles perspectives

FertiGenève a réuni le 6 mars dernier un panel de spécialistes suisses et internationaux pour faire le point sur les dernières avancées médicales dans ce domaine. La perte de la grossesse du 1er trimestre est le plus souvent consécutive à l’arrêt spontané du développement de l’embryon. Elle représente en moyenne 15% des grossesses et on estime à 23 millions le nombre de pertes de grossesse par année dans le monde. Sa fréquence et ses répercussions physiques et psychologiques en font une préoccupation de santé publique majeure. Les pertes de grossesse répétées sont définies par la perte de 2 grossesses ou plus. Cette situation est heureusement plus rare. On estime que 2 à 5% des femmes sont concernées.
L’âge maternel est le principal facteur de risque d’une perte de grossesse. La cause en est une anomalie du nombre de chromosomes (aneuploïdie) de l’embryon, dont la fréquence augmente avec l’âge de la femme. L’analyse des grossesses arrêtées au 1er trimestre met en évidence une aneuploïdie dans près de 60% des cas, ce qui en fait la cause la plus fréquente de perte de grossesse. Aussi, les sociétés médicales internationales proposent maintenant d’analyser le constituant chromosomique (=caryotype) du produit de conception à partir de la 2e ou 3e perte de grossesse. Si une aneuploïdie est détectée, la cause de la perte est établie et d’autres tests ne sont pas nécessaires. Mais pour effectuer cette analyse, le tissu de la grossesse doit être disponible, ce qui peut nécessiter une intervention, comme une aspiration utérine ou une hystéroscopie. De plus, la technique d’analyse est délicate et un résultat probant n’est obtenu que dans 50 à 80% des cas. Pour tenter de faciliter et améliorer le diagnostic, un test génétique non invasif (niPOC) a été récemment développé avec des résultats prometteurs. Basé sur une technologie comparable à celle du dépistage prénatal, le niPOC s’effectue sur une simple prise de sang prélevée chez la mère, ce qui permet une analyse de l’ADN du fœtus qui circule dans le sang maternel, et offre un résultat fiable à plus de 85%.
Dans de rares cas (2 à 4%), l’analyse embryonnaire résulte d’un réarrangement structurel chromosomique (échange entre deux chromosomes), appelé translocation, chez l’un des parents. Ce réarrangement n’a pas de répercussion sur la personne qui en est porteuse mais il augmente le risque d’une anomalie chromosomique lors de la conception. L’analyse du caryotype parental permet de poser ce diagnostic.
Les anomalies de l’utérus sont une autre cause de perte de grossesse. Elles peuvent être congénitales (malformations de l’utérus) ou acquises (fibromes, polypes, adénomyose, etc.). Non invasive et indolore, l’imagerie par échographie pelvienne permet le plus souvent d’établir un diagnostic précis.
Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) est une maladie immunitaire qui favorise la formation de caillots de sang dans les vaisseaux. Ces caillots, ou thromboses, altèrent la fonction placentaire et favorisent les pertes de grossesse répétées.
Les troubles endocriniens, en particulier la dysfonction thyroïdienne (thyroïdite auto-immune) et le diabète, sont également des facteurs de risque. Enfin, le rôle potentiel du père ne doit pas être négligé. Chez l’homme, l’âge a aussi un impact négatif sur le développement embryonnaire et son influence est perceptible dès la quarantaine. Un test de la fragmentation de l’ADN spermatique peut mettre en évidence ce problème.
L’approche thérapeutique consiste à traiter les causes identifiées. La substitution hormonale thyroïdienne, le traitement du SAPL par anticoagulants (aspirine et héparine) et la correction chirurgicale des pathologies utérines sont des traitements bien établis. En présence d’un réarrangement structurel parental, la fécondation in vitro avec diagnostic préimplantatoire permet d’identifier les embryons génétiquement équilibrés qui ont toutes les chances d’aboutir à la naissance d’un enfant.
En l’absence de test génétique sur le produit de conception, la perte de grossesse répétée reste le plus souvent inexpliquée et il n’y a pas de traitement spécifique. Et quand un test génétique a montré une aneuploïdie de l’embryon, les options thérapeutiques sont malheureusement limitées. Mais il est rassurant de savoir que, statistiquement, la plupart des couples ont plus de chances d’avoir une naissance vivante lors de la grossesse suivante qu’une nouvelle perte.
Le devenir des grossesses ultérieures dépend beaucoup de l’âge maternel. La fécondation in vitro avec test préimplantatoire des aneuploïdies (TPI-A) est une option possible, en particulier pour les femmes plus âgées chez qui le risque de perte de grossesse est accru et le temps limité. Mais ce traitement est complexe et coûteux et ne garantit pas qu’un embryon sans anomalie chromosomique soit obtenu.
Enfin, dans les situations extrêmes (≥4 pertes de grossesse avec embryon euploïde), un manque de tolérance immunitaire aux antigènes du père est suspecté. À l’heure actuelle, le traitement consiste à injecter des immunoglobulines pour tenter d’améliorer la tolérance immunitaire mais il est controversé. D’autres traitements immunomodulateurs, en particulier des immunosuppresseurs, sont actuellement l’objet d’études scientifiques. Dans tous les cas, une bonne hygiène de vie des deux partenaires est essentielle. Il est recommandé d’avoir une alimentation équilibrée, de maintenir un poids normal, de limiter sa consommation d’alcool, de ne pas fumer et d’éviter les drogues récréatives.
La perte d’une grossesse a un fort impact émotionnel sur le couple, même si les deux partenaires ne l’expriment pas nécessairement de la même façon. Et cet impact peut s’intensifier à chaque perte supplémentaire. Il est normal d’éprouver de la tristesse, de la colère, parfois de la culpabilité, et il est important de pouvoir exprimer ces sentiments. Dans ce moment d’extrême vulnérabilité, l’équipe médicale doit accueillir le couple avec bienveillance et lui accorder l’écoute et le soutien nécessaires. Donner une juste place à la grossesse perdue et reconnaître la souffrance qui en résulte est essentiel. Un soutien psychologique professionnel peut s’avérer indispensable. Le couple attend du médecin des informations claires et un pronostic honnête. Ensemble, ils élaboreront un plan d’action qui permettra à la femme et à son partenaire de reprendre confiance et d’envisager le futur avec plus de sérénité.